Rapport sociologique
après analyse des synthèses du synode sur la synodalité
Commission d'Etude sur la
Place des Femmes dans l'Eglise
Les chemins du Synode : que veut l’Eglise de France ?
Rapport de dépouillement et analyse
des synthèses du synode sur la synodalité 2021/2022
25 octobre 2022
Enquête et lectures réalisées par : Gilles Demptos, Marie Dervin, Apolline Roche, Geneviève Decrop
Traitement graphique et statistique : Gilles Demptos
Coordination et rédaction : Geneviève Decrop
Introduction
I. Un constat général : nécessité d’un changement profond,
structurel et spirituel. page 3
- l’Eglise, une institution repliée sur elle-même
- Au centre de toutes les préoccupations, la place faite aux femmes
- Le deuxième pôle de revendication : la gouvernance à tous les niveaux de l’Eglise.
II. Un tronc commun, trois sensibilités distinctes page 7
- Le mainstream.
- Les conservateurs relatifs
- Les rénovateurs
Conclusion page 12
Annexe : schéma et graphiques page 13
INTRODUCTION
Le synode sur la synodalité impulsé par le pape François en octobre 2021 a suscité une intense effervescence dans l’Eglise de France (et dans le monde). Dans la quasi-totalité des diocèses, surmontant certaines réticences au départ, des groupes de parole et de travail ont été constitués pour se saisir des questions posées par la haute hiérarchie catholique aux croyants, au « peuple de Dieu » pour reprendre la terminologie consacrée. Des réticences, il y en avait, certes, exprimant le manque de confiance de nombre de laïcs dans la capacité des autorités ecclésiastiques à écouter leur parole et à lui donner une suite. Ils se sont néanmoins saisis du cadre de réflexion proposé 1 et l’ont même souvent largement débordé.
Les résultats, d’abord rassemblés, traités et synthétisés au niveau du diocèse sont ensuite remontés à la Conférence des évêques de France, qui en ont extrait un document de six pages, composé d’un choix de citations puisées dans les synthèses diocésaines. Ce document a été envoyé en juin 2022 à Rome, accompagné d’une note de deux pages exposant les éléments essentiels que la conférence des évêques a retenu de cette vaste consultation. Les synthèses diocésaines ont été publiées sur le site de la CEF à l’aide d’une cartographie interactive qui constitue un outil précieux et accessible à tous ceux qui veulent se saisir de ces larges, précieux et rares aperçus que ces documents offrent de ce que pensent, vivent et espèrent les collectifs - paroissiaux, associatifs, communautaires - qui composent l’église de France, vivante, engagée.
Les associations de femmes et hommes catholiques, luttant pour faire entendre leurs voix n’ont pas voulu manquer cette opportunité et ont également publié des contributions au Synode. Certaines d’entre elles2 se sont à cette occasion donné un outil commun: la commission pour l’étude de la place des femmes dans l'Église (CEPFE). Entre autres actions, cette commission a procédé à son propre dépouillement des synthèses synodales. Le résultat de ce travail est présenté dans ce document.
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1 Un document de 45 pages de cadrage, donnant des références théoriques et théologiques2 Comité de la Jupe, association Toutes Apôtres, FHEDLES,page 1Il est utile au préalable d’indiquer les objectifs poursuivis, la méthode adoptée et également d’en préciser les limites et les précautions d’usage – qui loin d’amoindrir son apport, feront ressortir au mieux les apports et l’importance de ses enseignements, dont nous souhaitons que toutes et tous puissent se saisir.
L’objectif initial de la CEPFE était de prendre la mesure de la place qui était faite aux femmes dans les pratiques concrètes de l'Église, de recueillir leurs perceptions, leurs expériences, leurs attentes, telles qu’elles se sont exprimées dans les contributions au Synode, et d’analyser également le regard porté par tous, hommes et femmes, laïcs et consacrés, sur cette question. Nous nous proposions alors de noter, dans un tableau Excel, toutes les citations des synthèses qui se référaient au mot « femmes ». Rapidement, il est apparu opportun d’élargir le regard à d’autres thématiques, comme la question de la gouvernance, le statut des clercs, celui des mœurs et sexualités non conformes, les célébrations et la liturgie, tant toutes ces questions apparaissent liées. Elles renvoient in fine à celle du partage des rôles entre les hommes et les femmes, que ce soit sur un plan doctrinal et canonique ou sur le plan des pratiques concrètes quotidiennes, des us et coutumes. L’équipe de lecture a donc procédé à une double lecture, l’une portant sur les femmes et l’autre, portant un regard plus large et s’efforçant d’obtenir un tableau le plus approchant possible du vécu et des espérances des catholiques de France – en quelque manière une cartographie des opinions, des convictions et des attentes.
Quatre lecteur/trices – trois femmes et un homme – se sont partagé les synthèses, soit 92 synthèses diocésaines et 4 synthèses émanant de collectifs divers (Conférence des Chrétiens et Baptisés de France, Mission de France, Centre Théologique de Meylan, Saint Merri Hors les Murs), soit 97 synthèses, représentant 100 % des diocèses qui ont transmis un document synodal.
Il faut garder à l’esprit que les synthèses diocésaines et certaines émanant de mouvements sont le résultat du traitement d’un nombre parfois élevé de documents sources, émanant des groupes de travail locaux : les rédacteurs/trices de ces synthèses se sont déjà livrés à un travail d’analyse, sélection, de résumé des données remontant de la base. Cette analyse comporte donc un biais, voire un prisme déformant dont il est difficile de dire dans quel sens il opère : soit dans le sens d’un lissage consensuel en minimisant les extrêmes, soit au contraire de mise en exergue de propositions clivantes ou minoritaires. On peut raisonnablement penser que les deux biais ont joué ; et qu’au final, ceci équilibrant cela, l’impression qui se dégage de l’ensemble des synthèses donne une image relativement fidèle de la nébuleuse catholique. La récurrence des certains thèmes répétés d’un diocèse à l’autre, par-delà des profils très différents (urbain, rural, poids de l’histoire, démographie et sociologie) le laisse penser.
Un autre biais peut venir du profil des participants. Cette dimension est mentionnée différemment selon les diocèses. Nonobstant, il paraît acquis que la majorité des contributeurs aux chemins synodaux sont plutôt recrutés dans la tranche d’âge des plus de 60 ans, donc parmi les chrétiens de la génération conciliaire. Mais on perçoit çà et là que les « nouveaux pratiquants » d’obédience traditionaliste et des chrétiens rattachés aux mouvements charismatiques se sont aussi exprimés, également des jeunes (18-30 ans), quoiqu’en nombre limité. Le gros des contributeurs provient des rangs des pratiquants (soit l’assistance à la messe dominicale paroissiale), hommes et femmes, avec probablement une prédominance de femmes et de personnes engagées dans leur communauté paroissiale. Les congrégations sont restées très absentes de ce synode, de même que le clergé en tant que tels (séminaristes, enseignants ou autres). Les prêtres qui ont participé l’ont fait au sein des groupes de laïcs engagés dans la démarche. Les catholiques non pratiquants, éloignés de l’Eglise pour des raisons diverses et variées, de même que les catholiques dits « identitaires » sont resté en retrait.
page 2Au total, on peut estimer qu’entre 150 et 200 000 personnes se sont exprimées : une enquête en vraie grandeur.
Ces précautions étant faites, il reste que ce qui ressort de nos lectures est surprenant et saisissant. Une certaine sociologie du catholicisme français nous avait accoutumé à l’idée que les laïcs les plus engagés dans la dynamique de Vatican II en termes de modernisation, d’ouverture, de démocratisation de l’Eglise l’avaient désertée – ceux qu’on désigne généralement comme « chrétiens de gauche » - et qu’il y restait essentiellement des chrétiens demandeurs de rituels et de sacrements, nouveaux pratiquants, « tradis » et autres charismatiques. Certes cette demande existe, davantage d’ailleurs par soif de vie intérieure spirituelle que par quête d’identité collective, mais elle est immergée dans une très forte exigence de renouveau, de réforme de l'Église, de remise en question de larges pans de la vie ecclésiale. Ces réflexions et ces attentes rejoignent sur de nombreux points ce que des intellectuels/intellectuelles engagées disent et écrivent depuis longtemps. Il ne s’agit plus désormais d’une poignée de théologiens, de chercheurs et de militants qui demandent le sacerdoce pour les femmes, contestent le célibat des prêtres, critiquent la forme et le fond des célébrations ou l’accès aux sacrements, mais du « peuple de Dieu » en France3. On peut difficilement imaginer que la hiérarchie de l’Eglise reste sourde à cette clameur.
Au vu de ces premiers résultats de nos lectures, nous avons élaboré une problématique, au terme de laquelle on pouvait distinguer une déclinaison de cette aspiration globale au changement en plusieurs modes, que nous avons regroupés en trois catégories: les réformateurs modérés, exprimant un constat général commun, dénommé « mainstream » dans notre rapport, les conservateurs relatifs, les rénovateurs avancés. Au total, l'ampleur de l’opération rappelle quelque peu l’expérience historique des cahiers de doléances dans la France de 1788, préludant au processus révolutionnaire, si bien que le mainstream pourrait aussi s’appeler « les cahiers de doléances ». Nous nous sommes efforcés de quantifier ces catégories, en leur attribuant leur poids respectif dans la consultation globale, et de quantifier également les demandes les plus communément répandues, en matière de gouvernance, de rôle des femmes, de statut des prêtres, de célébrations. Ces graphiques sont donnés à la fin de notre rapport.
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3 Plus de 150,000 personnes ont contribué au Synode, selon la CEF: https://eglise.catholique.fr/le-synode-2023/synode-des-eveques-sur-la-synodalite-2021-2023/527445-collecte-nationale-des-syntheses-locales-sur-le-synode-2023-sur-la-synodalite/page 3Nous exposerons successivement les éléments du constat général (I), puis la description des trois catégories avec leur poids respectif (II).
I. Un constat général: nécessité d’un changement profond, structurel et spirituel,
non seulement pour sauver l'Église, mais, pour beaucoup, pour que le message de l’Evangile, que l’œuvre de Jésus-Christ survive. Le sentiment d’une urgence qui conduit beaucoup de participants à s’engager dans le parcours synodal, malgré leur défiance vis-à-vis de l’institution et la crainte de parler pour rien, d’être convoqués à un simulacre de consultation, comme ils en ont fait souvent l’expérience.
« Si l’Église de France ne bouge pas maintenant, son avenir est définitivement compromis ». (CCBF)
« Au niveau de l’Eglise universelle, a été exprimé de diverses manières le souhait d’une Eglise plus ouverte, d’une Église baptismale et rayonnante en actes, d’une Eglise qui écoute et qui accueille, qui fait confiance aux baptisés, qui célèbre Jésus-Christ et qui annonce l’Evangile. De ce souhait découle la nécessité d’un travail de conversion à la fois personnel et communautaire, soutenu par une réflexion théologique et se traduisant dans des évolutions organisationnelles réelles et profondes à tous les niveaux.» (Diocèse de Périgueux)
● Le diagnostic le plus partagé: l’Eglise est une institution repliée sur elle-même, pyramidale, concentrant la totalité du pouvoir dans la main des clercs, du curé en ce qui concerne les paroisses, de l’évêque dans le diocèse. L’institution écoute peu les fidèles et ses décisions leur apparaissent largement opaques, voire arbitraires. L'Église est excluante : cela ne concerne pas seulement l’appareil mais aussi la masse des fidèles. Au rang des exclus, il faut citer les divorcés, les homosexuels, les célibataires, les familles monoparentales, et d’une manière générale tous ceux qui sortent d’un certain cadre normatif : la famille classique française de classe moyenne. L’admission aux sacrements sous conditions, pour les homosexuels et les divorcés remariés notamment, est désormais vécue comme insupportable.
« Nous refusons que l’Église interdise l’accès à l’eucharistie à qui que ce soit (divorcés remariés). » (St Merry Hors les Murs)
page 4Les prêtres diocésains sont perçus comme épuisés, courant partout et peu disponibles, leur formation, notamment en sciences humaines, en management d’équipe, en communication, est singulièrement déficiente. L’obligation du célibat qui leur est faite paraît à la fois insupportable et en décalage avec le monde moderne. L’appel aux prêtres étrangers est un palliatif très peu satisfaisant à cet épuisement du clergé national, surtout lorsqu’existent des ressources locales chez les laïcs.
« Un prêtre commençait récemment la célébration eucharistique (en semaine) en disant qu’il n’avait pas eu le temps de lire la Parole, et qu’il verrait s’il était inspiré pour la commenter. Il parlait devant la communauté (de bénédictines), qui avait déjà célébré l’Office et prié depuis le matin : aurait-il été impossible de proposer aux participant(e)s de partager le fruit de leur prière ? » (Reims)
● Au centre de toutes les préoccupations, il y a la place faite aux femmes, sans aucune mesure avec leur rôle et leur poids réel dans le fonctionnement de l’institution, des paroisses. La parité hommes/femmes à tous les nouveaux de décision et de fonction est instamment réclamée par le plus grand nombre. Il ne s’agit pas d’abord d’une revendication féministe, mais de la santé de l’Eglise et de son rayonnement. La minoration des femmes, leur effacement étant perçus comme les signes les plus évidents du déphasage de l’Eglise avec le monde. Il est noté avec inquiétude le recul dans certaines paroisses sur les acquis conciliaires : de nouveau, on assiste à des exclusions de femmes et de petites filles du chœur, des lectures, de la distribution de la communion. L’institution récente des « servantes d’assemblée » en étant l’indicateur. Le diaconat pour les femmes est une revendication très partagée, de même que l’ordination de prêtres mariés.
«La place des femmes dans la hiérarchie catholique est à repenser complètement, d’urgence et en profondeur, y compris théologiquement, de nombreuses contributions insistent sur ce point... Tous les groupes qui abordent cette question insistent pour dire que ce n’est pas une revendication féministe, mais une nécessité vitale d’enrichir la gouvernance et de faire évoluer l’exercice de la hiérarchie et de l’autorité par l’apport de leur charisme(s) spécifique(s) au sein de l’Eglise. « Pourquoi pas des femmes diacres ou prêtres ? » : double question évoquée par beaucoup de contributions, « non pour pallier la baisse des vocations, mais pour mieux s’ouvrir à l’apport spirituel d’une moitié de l’humanité », l’ouverture au diaconat et à la prédication (pour celles qui sont formées) semblant faire la quasi-unanimité. » (Périgueux)
« Une vraie insistance sur la présence et la place des femmes avec le constat d’une trop rare présence dans les lieux de décisions : leur voix ne correspond pas à leur contribution. Mais sans doute aussi davantage comme une question de «culture»: quelle place a vraiment la femme dans l’imaginaire ecclésial ? Une invitation à une conversion de fond » (Tours)
page 5● Le deuxième pôle de revendication concerne la gouvernance à tous les niveaux de l’Eglise. La concentration des pouvoirs dans la main du curé en paroisse, de l'évêque dans le diocèse, est une des grandes causes des dysfonctionnements de l’institution. Face à cela, les laïcs se sentent méprisés et ballotés. En cause, notamment l’opacité de l’attribution des missions, sur « appel » dont on ne sait pas trop quel est le mécanisme (sauf l’invocation de l’Esprit Saint, qui laisse parfois perplexe), puis la remise en cause de ces missions en cas de changement de curé.
« L’expérience de « douches écossaises » successives : « Chaque curé arrive avec son style et ses idées propres, et a le pouvoir de faire ou défaire ce qui a été édifié par le passé ». « Les clercs n’ont plus à avoir un caractère « sacré » qui leur donne une autorité et un ascendant sur les fidèles pouvant entraîner des abus de pouvoir ... Il faut bannir la culture du secret et de l’entre-soi de tous les organes de décisions qui seront composés aussi bien de clercs que de laïcs compétents et formés, hommes et femmes ». « Que le pasteur ne se prenne pas pour le Christ mais qu’il Le laisse voir à travers lui. » (Aix)
« Séparer l’ordination sacerdotale de l’exercice du pouvoir (gestion de la communauté au niveau paroissial, diocésain et universel). L’exercice du pouvoir est un charisme particulier que tous les prêtres n’ont pas. A l’inverse des femmes ou des hommes laïcs peuvent avoir ce charisme, pourquoi s’en priver dans l’Église ? Donner aux femmes une place digne de leur baptême dans l’Eglise à tous les niveaux, dont les instances décisionnelles, et sans restriction pour que l’Eglise puisse pleinement bénéficier de leurs charismes.
Dans la configuration actuelle des paroisses, tous les pouvoirs sont concentrés entre les mains de l’homme qui reçoit l’ordination sacerdotale. Les laïcs, hommes et femmes, ne sont pas associés aux délibérations, aux réflexions et aux décisions ; ils ne sont que des subalternes. L’Eglise est une structure hiérarchique alors qu’elle devrait avoir une gouvernance démocratique. Tous les laïcs, y compris les plus vulnérables et les moins instruits, devraient y avoir leur place et un droit à la parole. De même, les femmes devraient y avoir la même place, la même parole et les mêmes droits que les hommes. Par exemple, sans être exhaustif, et simplement pour ouvrir le débat : la contraception ; la morale familiale ; la morale sexuelle ; la prêtrise pour les hommes mariés ; la possibilité ouverte aux femmes d’être diacre, prêtre, évêque. » (Marseille)
● Le troisième pôle de malaise et de revendication concerne les célébrations, la liturgique, les homélies : tout cela est vu comme à sérieusement rafraîchir, tant le culte paraît morne, ennuyeux, hors sol à nombre de paroissiens, malgré le langage affiché de la joie et de l’audace de la mission.
page 6« Il faut donc inventer des lieux, (des églises, mais aussi des maisons/salles où se réunissent ceux qui partagent la Parole, se forment, échangent), mais aussi des moments de rencontres et de partage où les communautés à géométrie variable peuvent se former et où les baptisés peuvent se reconnaître : partage de la Parole, pas seulement lors des rencontres dominicales, partage de la vie quotidienne avec ses joies et ses souffrances, avec des mots compréhensibles par tous, avec la joie de se retrouver, des gestes d’accueil, une prise en charge de la liturgie par les forces vives d’une communauté, une « homélie partagée », des temps de silence, le célébrant au milieu du peuple, pour une « messe sur le monde » , avec une liturgie qui fasse mémoire de l’eucharistie, mais aussi du lavement des pieds, ce sacrement du frère où Dieu est présent. » (CCBF)
Dans ce constat général est fréquemment souligné et déploré le manque de formation : des fidèles sur le plan des Écritures, de la théologie, du droit canon ; des clercs en sciences humaines et sociales, en psychologie et en management.
Les orientations nécessaires qui se dégagent des synthèses peuvent se résumer ainsi :
- une séparation de la gestion des affaires courantes et de l’administration du sacré, avec un équilibre des pouvoirs entre fidèles et prêtres pour le premier point ;
- la consultation à tous les échelons pour les décisions concernant la paroisse et le diocèse, y compris la nomination des prêtres ;
- la revitalisation des conseils paroissiaux, chargés d’écrire un projet paroissial qui s’imposerait au curé entrant en fonction.
II. Un tronc commun, trois sensibilités distinctes
Le constat établi plus haut est comme une sorte de tronc commun, peu ou prou partagé par l’écrasante majorité des synthèses diocésaines ou autres, mais avec des nuances, des tonalités qui peuvent différer de l’une à l’autre, certains mettant l’accent sur tel point plutôt que sur tel autre. Nous avons regroupé ces sensibilités en trois groupes – en demandant à nos lecteurs une certaine indulgence, car il entre dans cette classification une part d’arbitraire et naturellement de subjectivité inévitable dans ce type de travail. Nous avons dû parfois trancher pour certaines synthèses se tenant sur la tranche entre deux groupes. Nous avons essayé de réduire au maximum la subjectivité par la discussion entre les membres de la commission et par des relectures.
page 7● Un groupe établit le constat cité plus haut et le documente. Les rédacteurs, tout en soulignant les points de satisfaction, écrivent grosso modo un « cahier de doléances ». Mais ne s’avancent guère sur des propositions pratiques, mis à part le diaconat des femmes qui fait l’objet d’un large consensus. Ils mettent en cause la structure de l’Eglise, l’autoritarisme et le cléricalisme, le célibat des prêtres, mais aussi la passivité des fidèles, leur manque de formation. Tout cela aboutit à conforter le cléricalisme et le pouvoir du curé. Nous l’appellerons le mainstream.
« Si elle ne veut pas se vider et se détruire, l’Eglise doit revenir à ses essentiels : être à l’écoute, sans juger (...) donner la place aux pauvres, aux marginalisés (...) aux femmes, aux divorcés-remariés, aux homosexuels, à tous ceux que l’on dit « hors norme ». (Perpignan)
« 96 occurrences femmes dans le verbatim, quant à la place des femmes. Selon certaines paroisses, il n'y a plus de jeunes filles parmi les enfants de chœur, et les femmes ne font plus de lectures au cours des célébrations. Impression d'un net recul par rapport à il y a 30 ans. Les femmes sont aussi des enfants de Dieu et le Christ dans l’Évangile leur a donné une place essentielle, alors ? Il faut redonner aux femmes une vraie place dans l’Église. Nous tous sommes préoccupés par l’état de notre Eglise, par son vieillissement, par la perte de son attractivité pour nos concitoyens... mais surtout douloureusement par l’éloignement de la plupart de nos enfants pour qui notre Eglise ne parle plus et dans laquelle ils ne se reconnaissent plus. Les scandales à répétition et la place réduite faite aux femmes ne sont pas les seuls facteurs explicatifs, bien sûr. Ce qui est en cause aujourd’hui c’est l’organisation de l’institution. Il convient donc de revenir à l’essentiel : l’assemblée des fidèles. En effet, l’organisation actuelle est la résultante de plusieurs siècles d’accumulation de pratiques plus ou moins élaborées. Il n’y a pas de raison pour que cette organisation soit immuable. Sachant que toute organisation qui ne se réforme pas est menacée de disparition. » (Marseille)
« La place des laïcs et en particulier des femmes dans l’Eglise. Si les femmes sont majoritairement présentes dans les groupes et services de l'Église, une grande part des répondants interroge le sens de la place qui leur est laissée. Pour certains, elles sont reléguées aux services et soulignent que « l’Eglise a toujours l’air d’une affaire masculine ». En cela, l’Eglise se passe de leurs charismes. De surcroît, cela renforce l’image rétrograde de l’Eglise. Il est évoqué la possibilité de vivre un ministère, éventuellement celle d’être ordonnée. De manière plus générale, pour l’ensemble des laïcs, un effort doit être fait pour que chacun se sente accueilli. Le besoin est également exprimé de la reconnaissance de la mission de chacun, notamment lors d’un envoi. C’est souvent la question de la légitimité qui est soulevée lorsque ces remarques apparaissent. » (Quimper)
Ce mainstream constitue 28,9 % des synthèses
page 8● Un deuxième groupe ne remet pas en question les structures fondamentales de l’Eglise, notamment le statut des prêtres, l’organisation en paroisse et le principe d’une autorité hiérarchisée : ces derniers déplorent les lourdeurs et les frilosités, mais sont plus respectueux du prêtre et de la hiérarchie, très soucieux de les soulager et de les soutenir.
Nous les appellerons les « conservateurs relatifs »
« Les équipes disent leur attention aux conditions de vie et de ministère des prêtres et ont pris conscience de leur raréfaction.
« Plusieurs évoquent la solitude du curé... Plusieurs sentent que les curés souffrent et sont épuisés. »
« Suite au rapport de la CIASE, des questions émanent sur les conditions d’exercice des prêtres : Quel soutien psychologique ont-ils lorsqu’ils sont en difficulté avec des paroissiens ? (St Brieuc)
Ils ont peu de revendications précises, mais souhaitent une implication plus forte des laïcs.
« Ce ne sont pas que les prêtres qui manquent mais aussi des laïcs engagés dans l’Eglise. Les bénévoles dans nos paroisses fatiguent et s’inquiètent de ne pas voir de renouvellement. » (St Brieuc)
Certains sont plus préoccupés de revivifier les rituels, les pèlerinages et les fêtes votives héritées des traditions populaires que de répondre aux questions posées par le synode.
« Je rêve que l’Eglise se simplifie : il y a trop de règles qui empêchent la vie. Par exemple : refus de baptiser ensemble des frères et sœurs car les rituels ne sont pas les mêmes en fonction des âges. Ça fait fuir ce genre de réponse à une demande de sacrement. » (St Brieuc)
« Le langage et les rites apparaissent pour beaucoup un obstacle à une pleine participation. L’expérience de la période covid a amplifié une désertion des assemblées paroissiales, parfois au profit d’une communauté numérique. » (Guadeloupe)
page 9L’accent est mis davantage sur les besoins spirituels de la communauté, que sur les questions de pouvoir ou d’organisation, sauf si celles-ci forment un obstacle à la transmission du message.
« Que l'Eglise apporte plus de nourriture spirituelle, que celle-ci ne soit pas basée sur ces notions de bien et de mal et de péchés perpétuels mais qu'elle ouvre au chemin d'intériorité et de rencontre avec le Seigneur qui ne soit pas de l'ordre de l'illusion ou de l'idolâtrie. Il faut donc des guides » (St Brieuc)
« L’Eglise n’a pas une tradition d’écoute des fidèles, au contraire les fidèles sont appelés à se mettre à l’écoute de la parole. Aujourd’hui nous avons la perception que nous sommes à un tournant et que l’Eglise doit être plus à l’écoute des fidèles. » (St Brieuc)
Le repli sur soi, le manque d’ouverture renvoie davantage à un « nous » collectif, incluant les fidèles, qu’à la hiérarchie, même si le manque d’écoute des fidèles de la part de celle-ci est pointé.
« Nous avons du mal à aller vers les marginaux, les exclus, les étrangers par peur de l’inconnu, de la différence. Nous avons aussi du mal à fréquenter, à rencontrer au grand jour les prostituées, les homosexuels à cause des préjugés. Nous avons souvent du mal à aller vers les membres d’autres religions parce que le dialogue est souvent difficile, voire impossible avec eux (témoins de Jéhovah surtout qui dénigrent notre reconnaissance pour la Vierge Marie). » (Guadeloupe)
« Il y a encore un manque d'accueil, des jugements et des commérages qui font que des frères et des sœurs ne se sentent pas accueillies. (...) Il faut aussi reconnaître que certains paroissiens se contentent de venir à la messe, sans chercher à entrer en relation avec les autres et avoir ainsi des opportunités pour s'impliquer dans la vie de leur paroisse. Difficile de faire participer ceux qui se retirent par facilité, recherchent une certaine liberté, se montrent susceptibles et préfèrent pratiquer leur foi en périphérie ». (Saint Pierre et Fort de France)
Autre suggestion : Mise en place des lieux de rencontre, café-philo, espace de langage bilingues...Il n’y a pas d’espace et de temps intergénérationnels, l'Église est trop clivée...on dirait qu’il n’y a plus de place pour l’accompagnement spirituel vrai, on se cache derrière le tout « portable » les tous réseaux sociaux, le tout Visio. (Guadeloupe).
Ce groupe représente 26,8 % des synthèses
page 10● Ceux qui vont plus loin que le constat commun, et tracent des pistes de renouveau, sur tous les plans cités. Certaines identifient les racines des maux dont est affligée l’Eglise institutionnelle dans le patriarcat, l’enfermement masculin sur soi, la peur de la sexualité et la peur des femmes. Les mêmes ou d’autres poussent l’analyse sur le plan théologique, notamment sur la lecture sacrificielle de l’Eucharistie, qui leur paraît contraire au sens évangélique de la Cène et de la mort sur la croix. Ils refusent d’y lire le récit d’un Dieu offrant son fils en holocauste pour donner aux humains le salut, mais ils y lisent la donation libre de Jésus allant jusqu’au bout de son engagement, jusqu’à sa condamnation à mort par les autorités de l’époque, et l’Eucharistie comme la mémoire partagée de ce don. Pour eux, la lecture sacrificielle est celle qui autorise la reconstitution d’un clergé que Jésus de Nazareth a toujours combattu de son vivant, qui édifie le cléricalisme et ouvre la voie aux abus que la commission CIASE a documentés.
Nous les appellerons « les rénovateurs »
« Un travail associant laïcs et clercs formés en théologie est indispensable pour repenser la théologie de l’Eucharistie - notamment en ce qui concerne l’emploi du vocabulaire sacrificiel, trop équivoque, et pour mettre clairement en avant la théologie d’un don de Dieu auquel nous venons rendre grâce. Il faudra en conséquence retravailler les textes liturgiques obscurs pour maints fidèles, adapter le déroulé de la messe en mettant en valeur la commensalité, et retrouver le sens de l’action de grâce joyeuse » (CCBF)
« Le prêtre est-il sacré ? Le sacrement de l’ordre confère-t-il au prêtre une nature particulière ? Celle-ci serait absente chez les laïcs, hommes ou femmes, ce qui ne leur permettrait pas de présider une célébration eucharistique, même dûment mandatés par leur évêque ? [...] Ne frôle-t-on pas une vision magique des pouvoirs du prêtre ? » (St Merry Hors les Murs)
Sur cette base, ils imaginent une refondation de l'Église, plus souple, plus labile, à base de petites assemblées de nature diverse : lecture des Textes, célébrations, prières, etc. en cassant le cadre géographique dépassé de la paroisse. Une église animée et coordonnée par des hommes et des femmes, formés et donnant leur temps pour la durée d’un mandat, qui ne seraient pas retirés de la vie sociale, professionnelle, familiale.
« La paroisse, telle que nous la connaissons actuellement, ne pourra plus rester la cellule de base de l’Église. Il faut en venir à créer des petites communautés infra-paroissiales qui deviendront le cœur de la vie religieuse quotidienne locale et fonctionneront habituellement sans prêtres, seront animées par des laïcs et
se réuniront le plus souvent au domicile des fidèles. » (St-Merry Hors les murs)
Ce troisième groupe représente 44,3 % des synthèses
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Conclusion
De nombre de synthèses, et de toutes les catégories, se dégage une aspiration à retrouver la simplicité du message évangélique, la fraîcheur et la ferveur des commencements, pour que puisse briller et retentir la bonne Nouvelle.
«Aller jusqu’à la racine théologique des nombreux dysfonctionnements actuels, à travers une réflexion profonde en Eglise pour retrouver la simplicité et la cohérence de l’Evangile, « réviser le langage pour qu’il soit en phase avec notre quotidien, abandonner le décorum qui détourne trop souvent de l’essentiel et favorise l’ésotérisme et l’exclusion, effacer une théologie artificielle sous-jacente qui fait obstacle à l’accueil de tous et bien sûr à l’œcuménisme... Bref, en tous points, revenir à la fraîcheur, à l’authenticité et à la simplicité de l’Evangile. ... la hiérarchie actuelle est un frein à l’annonce de la Bonne Nouvelle » (Périgueux)
Non sans que des divergences s’expriment, parfois assez rudement, pour ce que nous pouvons en percevoir à la lecture de synthèses diocésaines, qui sont elles-mêmes des synthèses de synthèse, passées donc au tamis de relectures successives.
« On perçoit à travers les comptes-rendus, des échanges parfois rudes, une certaine difficulté à s’écouter en vérité sur des sujets clivants (mariage des prêtres, fonctionnement hiérarchique, Motu Proprio Traditionalis custodes, la place et responsabilité des femmes dans l’Église...). Des « rancœurs » ont pu s’exprimer... » (Rennes)
Cependant, Il ne faut certainement pas voir dans cette aspiration à la ferveur des origines un quelconque fondamentalisme, mais plutôt la conviction que seul le message est essentiel et l’apparat accessoire ; et l’espérance que nous saurons en retrouver les voies.
De toutes les synthèses émerge un profond malaise quant à la place faite aux femmes dans l’Eglise, dans sa structure organisationnelle, comme dans les dimensions théologique, canonique et sacramentelle. Il ne s’agit pas seulement d’un déséquilibre, d’un dysfonctionnement à corriger, mais d’une blessure profonde qui entache le passé de l’Eglise et grève son avenir. Chez nombre de chrétiens et chrétiennes, il y a la conviction que sans une refonte en profondeur sur ce point, l’Eglise catholique ne survivra pas aux bouleversements actuels, car elle sera démunie pour affronter les défis de notre époque et les enjeux du monde contemporain. Il est à noter, et c’est un peu inquiétant, que parmi ses défis, l’écologique reste peu présent dans la réflexion des catholiques. L’encyclique de François, Laudato si et la menace écologique ne sont mentionnés que 4 ou 5 fois dans l’ensemble du corpus.
page12Il n’en demeure pas moins qu’un vent d’espérance souffle dans tous les diocèses. De nombreuses initiatives proposées ça et là vont éclairer d’un jour nouveau notre mission d’évangélisation. Les synthèses fourmillent d’idées novatrices en matière de tiers-lieux chrétiens, pôles de convivialité et surtout de solidarité pour une Eglise dans et proche du monde. Beaucoup font allusion aux recommandations de la CIASE concernant la place des femmes dans l’Eglise. En effet, la complémentarité qui souvent relègue la femme en position d’adjuvant souriant et soumis laisserait la place à une véritable altérité source d’équilibre, fondement d’une Eglise fervente et agissante. Une Eglise fraternelle animée d’une foi vive que rien ne peut éteindre !
ANNEXE: Eléments statistiques et présentation graphique.
Répartition des synthèses
Schémas et graphiques (en construction
Proportion des synthèses analysées évoquant et/ou réclamant des évolutions sur divers aspects des pratiques et doctrines de l’Eglise concernant, directement ou indirectement à la place des femmes:
page 13Annexes